••• = Seulement disponible en anglais. La traduction des essais de Wilde par Albert Savine provient du projet Gutenberg EBook de son édition de Derniers essais de littérature et d'esthétique: août 1887-1890 (1907). Date de sortie: 31 décembre 2006 [EBook # 20234]. Produit par Miranda van de Heijning, Wilelmina Maillière, et l'équipe de correction d'épreuves distribuée en ligne [Online Distributed Proofreading Team]. (Ce fichier a été produit à partir d'images généreusement mis à disposition par la Bibliothèque nationale de France (BnF / Gallica) sur http://gallica.bnf.fr) Selon la note de l’éditeur, l’article a été publié pour la première fois dans la Pall Mall Gazette, 14 avril 1888.
Biographie d'un très grand homme par un auteur qui tient beaucoup de la dame — voilà la meilleure caractéristique que nous puissions donner de la vie de George Sand par M. Caro. Le défunt Professeur de la Sorbonne pouvait babiller d'une manière charmante sur la culture et possédait toute l'attrayante insincérité d'un faiseur de phrases accompli. Comme il était un homme d'une très grande supériorité, il avait un mépris très marqué à l'égard de la Démocratie et de ses œuvres, mais il fut toujours populaire auprès des Duchesses du Faubourg, car il n'y avait rien en histoire ou en littérature qu'il ne fût capable d'expliquer d'une manière édifiante pour elles. N'ayant jamais rien accompli de remarquable, il fut naturellement élu membre de l'Académie française, et il resta toujours fidèle aux traditions de cette institution profondément respectable et profondément prétentieuse. En fait il était exactement le type d'homme qui n'aurait jamais dû entreprendre d'écrire une vie de George Sand, ou d'interpréter le génie de George Sand.
Il était trop féminin pour apprécier la grandeur de cette nature amplement féminine. Il avait trop de dilettantisme pour apercevoir la vigueur masculine de cet esprit énergique et ardent. Il ne pénètre jamais le secret de George Sand, jamais il ne nous rapproche de cette étonnante personnalité. Il voit simplement en elle un littérateur, une conteuse de jolies histoires de la vie des champs et de romans où il y a du charme, mais quelque exagération. George Sand était beaucoup plus que cela.
Si beaux que soient des livres comme Consuelo, comme Mauprat, François le Champi, et la Mare au diable, il n'en est aucun qui l'exprime d'une manière adéquate, aucun qui la révèle d'une manière adéquate. Ainsi que l'a dit, il y a bien des années, M. Matthew Arnold•••, nous ‘sentons par derrière ces livres l'esprit qui se meut dans toute son œuvre’. Mais M. Caro n'a aucun point de contact avec cet esprit. Les doctrines de madame Sand, nous dit-il, sont antédiluviennes, sa philosophie est tout-à-fait morte, et ses idées de régénération sociale sont des utopies incohérentes et absurdes. >Ce que nous avons de mieux à faire, c'est d'oublier ces sottes rêveries et de lire Tévérino et le Secrétaire intime. Pauvre M. Caro! Cet esprit qu'il traite avec ce détachement, cette désinvolture, c'est le levain même de la vie moderne. Il remet le monde au moule pour nous. Il façonne à nouveau notre époque. S'il est antédiluvien, c'est parce que le déluge n'est pas encore venu; s'il est utopique, il faut ajouter Utopie à nos géographies.
A quels curieux expédients M. Caro en est réduit par la violence de ses préjugés, on pourra s'en rendre compte en le voyant s'évertuer à classer les romans de George Sand avec les vieilles Chansons de Geste, les récits d'aventures qui caractérisent une littérature primitive, alors qu'en employant la fiction comme véhicule, le roman comme moyen d'agir sur les idéals sociaux de son siècle, George Sand ne faisait que continuer les traditions de Voltaire et de Rousseau, de Diderot et de Chateaubriand. Le roman, dit M. Caro, doit s'allier soit à la poésie, soit à la science. Qu'il ait trouvé dans la philosophie un de ses alliés les plus vigoureux, c'est une idée que ne paraît pas s'être présentée à lui. Une telle façon de voir pourrait peut-être s'excuser chez un critique anglais. Nos plus grands romanciers, tels que Fielding, Scott et Thackeray se préoccupent fort peu de la philosophie de leur siècle. Mais, venant d'un critique français, cette assertion semble déceler une étrange méconnaissance d'un des éléments les plus importants de la fiction française. Et même dans les étroites limites que M. Caro s'est fixées, on ne saurait dire qu'il soit un critique fort heureux, fort pénétrant. Pour en citer un exemple, parmi beaucoup d'autres, il ne dit pas un mot de la façon charmante dont George Sand parle des choses d'art et de la vie des artistes. Et pourtant comme elle est exquise dans ses analyses de chaque art en particulier, et dans la manière dont elle nous en représente les rapports avec la vie! Dans Consuelo, elle nous parle de la musique; dans Horace, de la profession d'écrivain; dans le Château des désertes, de l'art de l'acteur; de la Mosaïque, dans les Maîtres Mosaïstes; de la peinture de portrait, dans le Château de Pictordu; et de la peinture de paysage dans la Daniella. Ce qu'ont fait pour l'Angleterre Ruskin et M. Browning•••, elle l'a fait pour la France. Elle a créé une littérature de l'art.
Mais il est superflu de discuter les menus défauts de M. Caro, car l'effet total de son livre, en tant qu'il cherche à nous faire connaître le but et le caractère du génie chez George Sand, est entièrement gâté par la fausse attitude prise dès le début, et bien que la sentence puisse paraître à bien des gens sévère et même abusive, nous ne pouvons nous empêcher de sentir qu'une incapacité absolue d'apprécier l'esprit d'un grand écrivain n'est point la qualité requise pour écrire un livre sur ce sujet.
Quant à la vie privée de George Sand, qui est en relation si intime avec son art (car, comme Gœthe, il lui a fallu vivre ses romans, avant de pouvoir les écrire) M. Caro en parle à peine. Il passe par-dessus la question avec une réserve qui fait presque rougir, et dans la crainte de blesser les susceptibilités de ces grandes dames, dont M. Paul Bourget analyse les passions avec tant de subtilité, il transforme sa mère, qui était le type de la grisette française en ‘une modiste fort aimable et fort spirituelle’. Il faut reconnaître que Joseph Surface lui-même n'aurait pu montrer plus de tact et de délicatesse, bien que de notre côté, nous devions plaider coupable en préférant la description que fait d'elle-même madame Sand, lorsqu'elle se donne comme ‘une enfant du vieux pavé de Paris’. La traduction anglaise, qui a pour auteur M. Gustave Masson, est peut-être au niveau des exigences intellectuelles des écoliers de Harrow, mais elle ne satisfera guère ceux qui regardent l'exactitude, la clarté, et la facilité comme les qualités nécessaires à une bonne traduction. La négligence y est absolument stupéfiante, et l'on a peine à comprendre comment un éditeur, tel que M. Routledge, a pu laisser sortir de ses presses un travail de cette sorte. ‘Il descend avec le sourire d'un Machiavel’, se retrouve sous cette forme: ‘He descends into the smile of a Machiavelli’. La remarque faite par George Sand à Flaubert au sujet de l'écriture littéraire: ‘Tu la considères comme un but, elle n'est qu'un effet’, est traduite: ‘You consider it an end, it is merely an effort’: et une phrase aussi simple que celle-ci: ‘ainsi le veut l'esthétique du roman’ est traduite comme s'il y avait dans le texte: ‘ainsi le veulent les esthètes du monde’. ‘Il faudra relâcher mes économies’ a le sens de: ‘il faudra prendre sur mes économies’ au lieu de celui-ci: ‘Mes économies seront certainement relâchées’. Des ‘cassures résineuses’ ne sont point des cleavures full of resine (des fentes pleines de résine) et ‘madame Sand ne réussit que deux fois’ ne correspond guère à madame Sand was not twice successful, ne remporta pas deux succès. Querelles d'école n'est point disputations of schools (chamailleries d'écoliers). Ceux qui se font une sorte d'esthétique de l'indifférence absolue ne sont point those of which the aesthetics seems to be in absolute indifference. ‘Chimère’ ne devrait point être traduit par ‘chimera’ ni ‘lettres inédites’ par inedited letters. ‘Ridicules’ signifie des ‘absurdités’ et non des ridicules et: ‘Qui ne pourra définir sa pensée’ n'équivaut pas à Who can clearly define her thought? (qui pourra clairement définir sa pensée). M. Masson se tire fort mal d'une phrase aussi simple que celle-ci: ‘Elle s'étonna des fureurs qui accueillirent ce livre, ne comprenant pas qu'on haïsse un auteur à travers son livre’. Il traduit comme s'il y avait: ‘Elle s'étonna de l'orage qui accueillit son livre, ne comprenant pas que l'auteur est haï à travers son livre’. >Passons sur des expressions comme celle-ci: ‘substituted by religion’ au lieu de ‘replaced by religion’, la ‘vulgarisation’ où le sens exige ‘popularisation’ pour en venir à la forme la plus irritante de traduction, le système du mot à mot. Le ruisseau ‘excites itself by the declivity which it obeys’ (s'excite par la pente à laquelle il obéit), voilà un des plus beaux spécimens de ce genre chez M. Masson, et c'est un admirable exemple de l'influence exercée par les écoliers sur les maîtres. Mais ce serait chose ennuyeuse que de dresser le catalogue complet de ces ‘gaffes’. Aussi nous bornerons-nous à dire que la traduction de M. Masson est non seulement indigne de lui, mais encore que le public méritait mieux. De nos jours le public a sa sensibilité.
Dernière modification 14 février 2019